
Agnès Grey- Anne Brontë
Gallimard - 308 pages.
"Miss Grey etait une étrange créature ; jamais elle ne flattait et elle était loin de leur faire assez de compliments ; mais, quand elle parlait d'elles ou de quoi que ce fût qui les concernât en termes élogieux, elles pouvaient avoir la certitude que sa bonne opinion était sincère.
Elle se montrait dans l'ensemble très prévenante, discrète et pacifique, mais certaines choses la mettaient hors d'elle ; certes, cel ane les gênait guère, mais pourtant mieux valait ne pas la désaccorder puisque, lorsqu'elle était de bonne humeur, elle leur parlait, était fort agréable et pouvait parfois se montrer extrêmement drôle, à sa manière, qui était bien différente de celle de Mère, mais faisait toutefois très bien l'affaire pour changer. Elle avait des opinions arrêtées sur tout, auxquelles elle restait farouchement attachée... Des opinions souvent rebutantes, puisqu'elle pensait toujours en termes de bien et de mal et avait une curieuse révérence pour ce qui touchait à la religion et un penchant incompréhensible pour les honnêtes gens."
Après avoir adoré lire Charlotte et Emily Brontë, avec Jane Eyre et les Hauts de Hurlevent,il me fallait découvrir leur soeur cadette Anne, avec son roman Agnès Grey, publié en 1847.
Agnès Grey est une jeune femme qui a grandit dans le presbytère familial, entourée par l'amour des siens. Suite aux déconvenues financières de sa famille, elle décide de se faire employer comme gouvernante. Elle arrive chez les Bloomfield, où elle doit instruire les enfants de la famille. Le désenchantement se fait alors très rapidement. Ces jeunes enfants se révèlent être de véritables démons, des tyrans détestables et prétentieux, des êtres sans coeur...
Anne Brontë nous dévoile ici un roman sur les vicissitudes de la vie de gouvernante. La gouvernante est ici méprisée, considérée comme une simple domestique par ses employeurs.
Anne Brontë porte un regard critique et très lucide sur la société de l'époque. L'aisance financière de la bourgeoisie de l'époque ne rend pas forcément les gens de cette classe sociale plus intelligents, plus cultivés, et encore moins plus attachants. Une société odieuse, égoïste et hypocrite nous est présentée. Et c'est avec un grand soulagement qu'une bonne volée bien méritée serait administrée à certains jeunes gens fort désagréables dont Agnès Grey doit s'occuper.
Il est évident que la vie des jeunes filles obligées de travailler pour subvenir à leurs besoins n'était pas des plus facile. Mais outre ces aléas et ces contraintes, Agnès Grey va également rencontrer Mr Weston, et ainsi découvrir les premiers émois de son jeune coeur. Des sentiments refréné par sa grande modestie...
C'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé l'atmosphère de l'Angleterre victorienne, avec ses coutumes, ses paysages, sa vie qui s'écoule.
Anne Brontë maîtrise l'art de décrire merveilleusement les paysages et les caractères de ses personnages et parvient à faire voyager son lecteur vers une autre époque.
Son style est très agréable à lire, empreint parfois d'une touche d'ironie.
Extraits :
- "Je le remerciai ; chaleureusement ou avec froideur ? Je ne saurais le dire, mais s'il est une choses dont je suis certaine, c'est de n'avoir exprimé qu'une faible partie de la gratitude que j'éprouvai. Peut-être était-il ridicule d'éprouver une quelconque gratitude, mais je pris à cet instant son geste pour une manifestation remarquable de sa bonté, une marque de gentillesse que je ne pourrais payer de retour mais n'oublierais jamais, tant j'étais peu habituée à ce qu'on me rendît de telles civilités, si peu préparée à en attendre de qui que ce fût à cinquante milles à la ronde de Horton Lodge." (page 164).
- "Le coeur humain est comme la gomme arabique, il suffit d'un rien pour le faire gonfler mais il résistera à bien des choses sans se biser. Si "guère moins qu'un rien" suffit à l'ébranler, il faut "guère moins que la totalité de tout" pour le briser. Comme les parties externes de notre être, il possède un pouvoir vital qui lui est inhérent, lequel lui donne la force de résister aux agressions extérieures. Chacun des chocs qui l'ébranlent contribue à l'endurcir et à prévenir le coup suivant ; de la même façon, un travail incessant épaissit la peau de la main dont elle renforce les muscles au lieu de les laisser s'atrophier, si bien qu'une journée de dur labeur qui écorcherait la paume d'une main de dame ne laisserait pas de marque visible sur celle d'un robuste laboureur." (page 1661).
Agnès Grey d'Anne Brontë est un roman qui traite de la condition de la femme dans la société victorienne. Et finalement, en comparant Agnès Grey à Miss Muray, la plus heureuse et la plus libre n'est pas celle qui vit dans l'opulence financière, mais celle qui a su rester attacher à ses valeurs et à ses principes.
Agnès Grey d'Anne Brontë est un roman à découvrir absolument !